Lettre d’étonnement

Pierre BONDIL  -  le  24 novembre 2023

Lettre d’étonnement adressée à Mr le Pr François DABIS, président du comité de pilotage de la 2èmefeuille de route 2021-2024 de la Stratégie Nationale de Santé Sexuelle.

Double à Mr Olivier VERAN, Ministre des solidarités et de la santé & Mr Jérôme SALOMON, Directeur général de la santé (DGS) & Me Katia JULIENNE, directrice de la DGOS.

Le 21 février 2022

Monsieur le Président

Longtemps considérée comme secondaire, la santé sexuelle est désormais un problème de santé publique reconnu. La Stratégie Nationale de Santé Sexuelle 2017-2030 a été ainsi mise en place devant le constat de nombreux besoins insatisfaits, de fortes inégalités et d’une offre peu visible. Leur correction nécessite l’intervention d’acteurs de différentes disciplines s’inscrivant dans une interdépendance et un continuum de parcours. Dans ce contexte, la 2ème feuille de route (FdR) de décembre 2021 (1) répond-elle réellement à « la volonté d’adaptation de l’offre publique en santé sexuelle aux besoins des patients » ? Son analyse suscite trois motifs majeurs d’étonnement à l’origine de nos propositions ci-dessous. 


Approche populationnelle particulière : 

Des pans entiers de population sont délaissés par cette 2e FdR, centrée sur « des besoins particuliers liés aux situations de vie des personnes en situation de handicap, migrantes, pratiquant le chemsex, transgenres et en situation de prostitution ». Cette orientation restrictive, quoique légitime en termes de santé publique, est revendiquée : les repères « présentés comme les plus importants pour la santé sexuelle et la problématique développée dans cette FdR n°2 sont l’infection par le VIH, les infections sexuellement transmises (IST) bactériennes, les hépatites virales, la santé sexuelle liée à la covid-19, et pour la santé reproductive, les moyens de contraception et le taux d’interruption volontaire de grossesse (IVG) ». Ces choix reflètent la place prépondérante des acteurs du VIH et des IST dans la genèse de la SNSS et de ses FdR. Ils expliquent pourquoi les mots maladie chronique, dysfonction sexuelle et sexologie ne sont cités que trois fois en 95 pages ! Pourtant, en cas de maladies chroniques non transmissibles (MCNT), de cancers, de mauvaise santé mentale, de handicaps et/ou de vieillissement, la prévalence des troubles sexuels augmente significativement avec un impact souvent négatif sur la qualité de vie. Pourquoi l’axe IV de la 1ère FdR qui visait à « répondre aux besoins de ces populations vulnérables », a-t-il disparu quand toutes les enquêtes s’accordent sur la réalité d’une forte demande d’informations/soins et le souhait que les professionnels de santé l’abordent en premier ? Si l’éducation est bien présente avec l’objectif indispensable que « 100% des jeunes aient reçu une éducation de qualité à la sexualité tout au long de leur cursus », pourquoi n’aborder le problème de littératie en santé sexuelle (capacité à trouver une information pertinente, à la comprendre et à l’utiliser) que pour « …les personnes en situation de handicap, migrantes et autres personnes éloignées du système de santé » ? Des millions d’individus (et de couples) non ciblés par cette 2ème FdR, y sont confrontés, conséquence négative des « normes » suggérées par la « pornographie performante » véhiculée par les réseaux sociaux. 

Oubli d’acteurs majeurs en santé sexuelle :

Décloisonner l’organisation des soins et les exercices professionnels, favoriser la pertinence des soins sont des objectifs prioritaires de la Stratégie nationale Ma Santé 2022. Comment comprendre dès lors, que des acteurs majeurs de la santé sexuelle comme les médecins généralistes, les sexologues, les gynécologues, les sage-femmes les urologues et les andrologues soient si peu ou pas cités ? De fait, des millions de femmes se plaignent d’un manque d’information et de soins concernant les difficultés sexuelles et intimes liées aux pathologies organiques, aux violences sexuelles ou au vieillissement. Le rôle des urologues et des andrologues n’est-il pas incontournable pour partager la charge contraceptive et répondre aux nombreux troubles sexuels liés aux pathologies prostatiques et au déficit androgène lié à l’âge ? Pourquoi les professionnels de la santé prenant en charge les difficultés psycho-relationnelles ne sont-ils pas davantage cités, singulièrement… les sexologues ? Leurs compétences transversales et leur approche holistique mériteraient une meilleure utilisation. Comment atteindre l’objectif affiché de « ne pas fonctionner en silo mais privilégier une approche transversale » sans intégrer les principaux acteurs de terrain ? Tous travaillent au quotidien en 1ère ou en 2ème ligne, en partenariat avec la médecine générale. Cette lacune est d’autant plus regrettable qu’en cas de MCNT ou de cancer, ces acteurs « oubliés » savent que la multimorbidité (de plus en plus prévalente) nécessite de maintenir la qualité de vie et de réduire les déficits fonctionnels, y compris sexuels, singulièrement pour améliorer l’adhésion thérapeutique. 


Pertinence du rôle central dévolu aux acteurs du VIH et des IST : 

Cette FdR préconise « d’évoluer vers des « centres de santé sexuelle » proposant un accompagnement et une prise en charge intégrés… en un seul temps et un seul lieu », avec comme « objectif 2022 … d’encourager la structuration des réseaux [territoriaux] de professionnels en santé sexuelle sous l’égide des ARS et des COREVIH*… ». Les actions 10 et 11 illustrent sans équivoque, une volonté de confier la santé sexuelle aux professionnels du monde du VIH et des IST ce qui soulève deux questions. Pourquoi se focaliser sur les 172 700 personnes atteintes par le VIH et les 600 000 d’IST (1) et omettre les 20 millions concernés par les MCNT, les 3,6 millions par le cancer, les 13 millions par des troubles de la santé mentale, les 3,8 millions en situation de handicap et les 14 millions âgés de plus de 65 ans ? Ces populations, tout aussi vulnérables et demandeuses, ont les mêmes droits de bénéficier d’informations et de soins spécifiques. En termes de pertinence de soins et de parcours, quelle est la légitimité des CeGIDD**, rebaptisés centres de santé sexuelle ? S’ils ont très bien rempli leurs missions spécifiques, peuvent-ils répondre aux nouveaux besoins quand leur pratique apparait bien éloignée de ces populations, qui se plaignent en priorité de dysfonctions sexuelles, plutôt âgées et… réticentes à consulter dans des centres étiquetés IST et VIH ? Ces « centres » n’ont pas la capacité (moyens et expertises) d’être les acteurs de proximité en santé sexuelle (qui englobe la médecine sexuelle) et d’assurer l’activité de recours de 2ème et 3ème ligne. Notre sentiment est que cette 2ème FdR ne bénéficiera pas au plus grand nombre sans une déclinaison plus transversale. Sa réussite exige une collaboration proactive avec les principaux acteurs en santé sexuelle (somatique et psycho-relationnelle) qui interviennent tout au long des parcours de soins et de vie, au titre de la prévention, du dépistage, du traitement, mais aussi, de la sensibilisation et/ou de la formation des professionnels de santé.

* Comité de Coordination régionale de la lutte contre les infections sexuellement transmissibles et le virus de l’immunodéficience humaine, ** Centres gratuits d’information, de dépistage et de diagnostic des infections par les virus de l’immunodéficience humaine et des hépatites virales et des infections sexuellement transmissibles.

Nos propositions 

Dans un esprit constructif et de dialogue, nous souhaitons nous positionner comme une force de proposition. Nous souscrivons ainsi, totalement aux actions 7, 8, 9 et 10… à la condition qu’elles bénéficient à tous les professionnels concernés et à toutes les populations confrontées à un problème de santé sexuelle. Dans ce but, intégrer tous les acteurs en santé sexuelle de proximité permettrait de mieux adapter et graduer les réponses aux besoins populationnels, de fait, souvent assez simples (informer, rassurer, orienter…). L’oncologie, absente de la FdR, illustre très bien, l’intérêt d’adopter notre démarche transversale, participative et inclusive. Depuis 2016, l’oncosexualité est une compétence/offre reconnue en soins de support (2). Pluriprofessionnelle et bien structurée, elle propose au grand public et aux professionnels, des référentiels de bonnes pratiques, des informations multisupports, des annuaires de ressources, des plateformes et formations dédiées, des fiches pratiques de repérage des besoins, des algorithmes décisionnels… Point-clé majeur, ces outils sont en majorité, facilement adaptables aux autres populations vulnérables, leurs problématiques en santé sexuelle étant similaires. Pour toutes ces raisons, nous demandons, de façon légitime, à participer, d’ores et déjà, à la structuration de la réponse territoriale de proximité (programmée en 2022). L’élargissement du groupe de travail aux principaux acteurs/sociétés savantes impliqués en santé sexuelle permettra déjà de mieux définir le périmètre et les modalités de mise en œuvre, dans la pluriprofessionnalité et au plus près du terrain. Cela contribuera aussi à transformer la vision encore trop défensive de cette FdR en une approche plus positive de la santé sexuelle, régulièrement citée, mais en pratique, peu abordée. Dans un 2ème temps, nous préconisons fortement la mise en œuvre d’une 3ème FdR (2025-2029) principalement dédiée aux MCNT, au handicap et au vieillissement. Mais, les lacunes persistantes (besoins non satisfaits, inégalités et pertinence des parcours proposés) de la 2ème FdR peuvent être corrigées, via des actions interdisciplinaires coordonnées dans les domaines de la prévention, de l’accompagnement et du traitement. Nous avons également sollicité le soutien des principales sociétés savantes et associations de patients et d’usagers concernées. Nous vous remercions pour votre attention et nous vous prions de bien vouloir répondre à nos demandes légitimes, en sachant que la décision d’une 3ème FdR ne relève pas de votre responsabilité, raison pour laquelle cette lettre est adressée aux instances décisionnaires.

Veuillez croire, Monsieur le Président, en notre sincère volonté de répondre de façon positive à l’ensemble des besoins populationnels, afin de corriger les inégalités dans un souci constant de pertinence des soins et des coûts.

    Dr Pierre BONDIL président de l’AIUS                                               Pr Éric HUYGUE président du CNSS

Association Interdisciplinaire post-Universitaire de Sexologie          Collège National de Sexologie et de Santé Sexuelle

Co-coordinateur du Groupe Expert Cancer, sexualité,                           Co-coordinateur du Groupe Expert Cancer, sexualité, fertilité de l’AFSOS                                                                                                  fertilité de l’AFSOS                                                                                                          

Soutien officiel des président(e)s des principales sociétés savantes actrices en santé sexuelle 

Dr Joelle BELAISCH-ALLARD, présidente du Collège National des Gynécologues et Obstétriciens Français (CNGOF)  

Dr Carol BURTE présidente de la Société Francophone de Médecine Sexuelle (SFMS)    

Pr Georges FOURNIER, président de l’Association Française d’Urologie (AFU)          

Pr Paul FRAPPE président du Collège de la Médecine Générale (CMG) 

Mr Adrien GANTOIS, président du Collège national des sage-femmes (CNSF)  

Pr Ivan KRAKOWSKI président de l’Association francophone des soins oncologiques de support (AFSOS)

  1. Feuille de route n°2 : solidarites-sante.gouv.fr/prevention-en-sante/preserver-sa-sante/sante-sexuelle-et-reproductive/article/sante-sexuelle.
  2. Préservation de la santé sexuelle et cancer (2021) : https://www.e-cancer.fr/Professionnels-de-sante/ Recommandations-et-outils-d-aide-a-la-pratique/Accompagnement-du-patient/ Sante-sexuelle.

president@aius.fr   &  secretariat@aius.fr

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