Le 4 septembre 2025, la Journée mondiale de la santé sexuelle a rappelé une évidence trop souvent négligée : il ne peut y avoir de santé sans justice sexuelle, c’est-à-dire sans égalité d’accès aux droits, aux ressources et à l’information en matière de sexualité, à l’abri de toute peur, censure et stigmatisation. Ces principes ont été reconnus comme des droits fondamentaux par la World Association for Sexual Health dès 2005.
Mais ce droit est menacé aujourd’hui. Malgré des progrès considérables, la défiance envers la Science s’intensifie. À l’ère de l’« infobésité », la désinformation et les infox prolifèrent sur les réseaux sociaux, portés par l’immédiateté et l’émotion et sous-tendus par des logiques mercantiles ou idéologiques. La sexualité est un domaine particulièrement exposé : remise en cause de l’égalité entre les sexes, stigmatisation des minorités et contestation de l’éducation sexuelle – fondée sur une méconnaissance des programmes, une ignorance de ses effets bénéfiques et un déni des conséquences délétères de son absence.
Cette désinformation n’est ni anodine ni neutre. Elle entraîne des retards de soins, renforce les inégalités et pénalise encore plus durement les femmes et les minorités – sexuelles, culturelles et sociales.
Plus inquiétant encore, des États alimentent cette dérive. L’interdiction de mots-clés comme « sexualité », « genre » ou « femme » dans des programmes fédéraux aux États-Unis illustre cette politisation croissante de la Science où l’allégeance idéologique l’emporte sur les savoirs fondés sur les preuves.
En s’affranchissant du réel, ce contexte de « post-vérité » brouille les faits et entretient la défiance. De fait, il occulte la complexité et l’interdépendance de déterminants de santé aussi essentiels que la sexualité, le genre ou le statut socio-économique. L’histoire l’a montré : quand la recherche est muselée, la liberté tout entière recule et les démocraties vacillent.
Mais face à ces dangers, nous ne sommes pas condamnés à l’impuissance. La communauté scientifique dont la sexologie fait pleinement partie, a un devoir de résistance. Défendre l’indépendance de la recherche, c’est protéger la société contre l’exclusion et l’arbitraire mais aussi, contre l’abandon des plus vulnérables. La sexologie, comme toute discipline scientifique, ne peut rester silencieuse.
Rétablir la confiance passe par une parole scientifique claire, visible, transparente et adaptée aux usages numériques actuels. Ce défi collectif suppose de mettre à disposition des ressources accréditées par un label officiel, de diffuser des messages accessibles et sans jargon, de diversifier les canaux d’information, d’adopter les codes des réseaux sociaux pour toucher chaque génération ou groupe communautaire ainsi que d’intégrer la culture numérique dans la formation des professionnels.
Associations savantes, revues scientifiques, professionnels de santé, acteurs académiques et institutionnels : nous devons tous investir sans tarder ces espaces numériques dérégulés où s’informe désormais le public. Les faits ne doivent plus être éclipsés par des slogans idéologiques ou mercantiles. Pour (re)faire société, il nous faut aussi devenir des influenceurs afin que les principes scientifiques et démocratiques ne soient plus submergés par des principes identitaires brandis comme des étendards.
Résister à la désinformation n’est plus une option : c’est un impératif éthique et une responsabilité collective pour protéger la population. La vérité scientifique n’est pas qu’une affaire d’experts : elle est un bien commun universel, un socle de rationalité et un moteur d’émancipation et de progrès social. La défendre, c’est aussi garantir une société libre où santé, justice et droits liés à la sexualité deviennent une réalité pour toutes et tous.
Signature
Cette tribune est signée par le Dr Pierre Bondil, président de l’Association Interdisciplinaire post-Universitaire de Sexologie (AIUS), association savante dédiée aux soins, à la recherche et à la formation en sexologie, et par le Dr en psychologie Brice Gouvernet, rédacteur en chef de Sexologies, revue scientifique francophone de référence dans le domaine de la santé sexuelle, et le conseil d'administration de l'AIUS
Sexologue, conseiller conjugal et familial, psychanalyste
Enseignant au DIU de sexologie clinique à Lille
Membre titulaire et administrateur de l'AIUS