Merci pour votre participation à notre webconférence de jeudi 12 janvier 2023, intitulée « Reflexions sexologiques sur les pornographies : De la consommation à l’éducation et au soin ? » qui a été un succès, avec plus de 800 inscrits.
Merci à tous pour votre participation !
Vous pouvez retrouver le replay de la webconférence ici :
Comme promis, voici une synthèse des réponses aux questions qui ont été posées pendant la webconférence.
Comment pouvez-vous affirmer quels contenus sont ou non violents dans la pornographie si ceux-ci sont consentis par tous les acteurices et notifiés comme tel ? (avec un disclamer en début de vidéo par exemple). Il faudrait pour cela définir ce qu'est une sexualité "normale" et je ne pense pas que ce soit possible.
Réponse de Brice Gouvernet, Docteur en psychologie, chercheur en sexologies, Maître de conférences à l'Université de Rouen :
La question est immensément complexe car elle convoque plusieurs notions qu’il est important de comprendre et discuter.
Commençons par la fin de la question qui est en fait le point de départ de la réflexion.
Qu’est-ce qu’une sexualité normale implique de s’entendre sur :
(i) ce qu’est la sexualité et, dans un second temps, de
(ii) comprendre ce qu’est la notion de normalité.
Comme vous le suggérez, il est difficile de parler de sexualité normale tant la diversité des comportements / éprouvés / identités / pensées / fantasmes … est importante, ce pour quoi, la notion de sexualité est peu usité en recherche car, au final peu opérationnalisable / mesurable.
Nous distinguerons plutôt les fonctions et dysfonctions sexuelles (dimension physique / activités corporelles), les comportements sexuelles (les actes indépendamment des dimensions affectives et psychologiques) et les éprouvés (notamment la satisfaction sexuelle). Quitte à utiliser le terme usuel de sexualité, je suggère de parler Des sexualitéS et non de la sexualité (comme je parle deS pornographieS).
À cela s’ajoute la question de la normalité … doit-elle être définie au sens statistique du terme (notion de loi normale qui peut se représenter sous forme d’une courbe en cloche donc on connait les paramètres de densité) ou doit-on, en référence à l’étymologie (norma : équerre qui servait aux architectes de faire tenir les bâtiments droits), positionner le normal en fonction du sujet lui-même. Dans le premier cas, le normal se définit par la loi du plus grand nombre (des sortes de comportements moyens) dont on accepte une certaine variabilité (une sorte d’écart-type).
Dans le second cas, la norme renvoie à un type de fonctionnement idéal (un archétype en somme) de ce qui permettrait une bonne sexualité (ou un bon bâtiment, pour reprendre la métaphore). Mais il est également possible, toujours selon les définitions proposées, de définir le normal par rapport au sujet lui-même : serait alors normale une sexualité qui permet au sujet de tenir droit, de s’épanouir, ce qui, du reste est la définition de la santé sexuelle de l’OMS.
Petite remarque, mais remarque importante. Poser un caractère « normal » de la sexualité n’est pas sans danger – et on le sait historiquement comme politiquement – car celui/celle qui détient les critères de normalité a un fort pouvoir d’influence (et de soumission), ce pour quoi les sexologues doivent être attentif à la façon dont les patient.e.s les investissent.
Nous avons d’un côté des sexologues qui, par leur position, sont celles.ceux qui savent, des experts. Nous avons d’un autre côté le.la patiente qui consulte et qui est dans un état de détresse : il.elle éprouve une réalité qui lui échappe et qu’il.elle apporte à un expert pour en tester Et la réalité Et la normalité (est ce que je suis normal.e ?).
L’expert – le.la sexologue –par son expertise et sa qualification (et sa renommée) jouit d’un fort pouvoir dans le cadre de cette relation qui est, par essence asymétrique : il.elle est investi.e comme une figure d’autorité… et comme le rappellent les expériences de Milgram sur la soumission à l’autorité, le simple fait d’être ainsi perçu comme une figure d’autorité peut conduire à l’acceptation de discours ou de comportements qui peuvent aller à l’encontre même des valeurs / représentations / pensées des sujets.
Dès lors, quand bien même un patient se retrouverait face à un discours émanant d’une autorité sexologique – un.e sexologue – qui irait à l’encontre de ces désirs, le simple fait que cette autorité soit autorité pourrait le conduire à se conformer à ce discours.
Ce long développement pour déjà poser un cadre : l’importance de la légitimité de la source pour aborder les questions de sexualité. Si la sexualité est omniprésente socialement et les discours sur la sexualité tout autant, trouver un.e interlocuteur.trice légitime est garant d’une posture permettant de se prémunir des potentiels abus de pouvoir.
La question est donc difficile, mais nous pouvons cependant y voir plus clair en considérant, comme vous le remarquez, la question du consentement, ce qui est d’ailleurs désormais fait lorsqu’il s’agit d’aborder ce que certain.e.s nomment perversions. Suivant ce critère, le normal de la sexualité (ou des sexualités) serait posé par la possibilité d’obtenir le consentement libre et éclairé – j’insiste sur l’expression « libre et éclairé » du.de la.des partenaires sexuels. A mon sens, ici, les pratiques sadomasochistes, ne sont pas violente car elles reposent, ipso facto, sur le consentement de chacun.e.
Mais la question posée implique également de prendre en compte l’effet de la perception d’une pratique consentie par les différents protagonistes sur un tiers… et nous complexifions encore la question : ce n’est pas parce qu’un pratique est consentie qu’elle n’a pas d’effet sur un tiers qui la perçoit.
Et nous retrouvons alors les questions abordées dans ma présentation : nécessité d’études sans a priori, besoin d’opérationnaliser, questions des motivations à la confrontation à ces images (individuelles, sociales…).
Concernant mon intervention, j’ai abordé les hypothèses suggérées par un certain nombre de chercheurs.
La violence en tant que contenu pornographique a notamment été abordée par une analyse lexicale des termes utilisés dans les titres et descripteurs des vidéos en suivant une grille d’analyse thématique basée, notamment sur la définition des violences sexuelles et sexistes. En gros, les auteurs de l’article ont examiné quels descripteurs des vidéos proposées sur internet étaient des termes associés aux définitions des violences (ex : viol, forcer, « par surprise »… ) L’article est dans les références bibligraphiques.
Il peut être discuté car certains termes, pour les auteurs, renvoient à des descripteurs de violences, mais devraient sans doute être relativisés. Au final, en dehors de cas atypiques qui proposeraient des violences non-consenties par les acteurs / actrices (et les procès en cours avec quelques producteurs abordent ce problème, tout comme le problème des vidéos amatrices faites à l’insu des protagonistes qui ne sont pas moins que des viols de l’intimité), la question n’est pas tant la violence réelle présente dans certains contenus, mais la banalisation de certaines violences, pour les auteurs de l’article.
Toutefois, dans la continuité de ma présentation, c’est une forme de contenu, un type de pornographie qui ne résume en rien LES PornographieS (j’insiste encore une fois sur le pluriel)
Réponse du Dr Arnaud ZELER, médecin sexologue :
Les contenus violents en pornographie sont les contenus qui vont faire violence à un individu particulier, en fonction de ses capacités psychiques individuelles à un instant T, sans aucune considération de ce qui peut ou non être consenti entre les acteurs.
Il est d'ailleurs intéressant de noter que si le contenu n'est pas consenti, cela n'est pas un contenu pornographique mais un viol filmé, ce qui est complètement différent.
Pour en revenir au contenu, nul besoin qu'il soit consenti ou non pour faire violence et être traumatisant auprès d'un enfant ou d'un adolescent.
Le développement psycho-sexuel des enfants et des adolescents est tel que les contenus pornographiques représentant des scènes violentes peuvent entrainer des traumatismes, même si celles-ci sont consenties.
C'est d'ailleurs pour cette raison qu'il est (théoriquement) interdit aux mineurs de moins de 18 ans de visualiser des images pornographiques.
Comment abordez-vous la prévention des pornographies auprès de collégiens et lycéens sans contexte particulier?
Réponse de Brice Gouvernet, Docteur en psychologie, chercheur en sexologies, Maître de conférences à l'Université de Rouen :
J’ai proposé quelque piste, mais je pense que Marie Laure est plus à même d’aborder cela
Chez les addict à la pornographie, par quoi vous aurez substitué la consommation de la pornographie pour passer le cap à cette addiction ?
Réponse de Brice Gouvernet, Docteur en psychologie, chercheur en sexologies, Maître de conférences à l'Université de Rouen :
L’addiction à la pornographie est à mon sens à penser de façon complexe : addiction à la masturbation ou au visionnage d’image ? dans quel contexte ? quel type de pornographie ? qui rapporte l’addiction ? sur quels critères ? A mon sens, avant de parler d’addiction, il faut interroger le pourquoi (la signification) du recours à la pornographie.
Réponse du Dr Arnaud ZELER, médecin sexologue :
De mon expérience, les personnes (adultes) présentant une consommation compulsive d'images pornographiques présentent souvent mêmes caractéristiques que les individus présentant des addictions comportementales, avec une décharge de neuromédiateurs entrainant une sorte d’équivalence de « shoot », notamment dans la phase orgasmique.
Ce type de comportement devient pathologique uniquement en cas de surconsommation : elle est, bien entendu, à distinguer d’une utilisation occasionnelle ou récréative de la pornographie, qui peut être motivée par la curiosité d’exploration de différentes facettes de la sexualité ou d’une recherche d’un plaisir autoérotique ponctuel.
L’addiction à la pornographie distance de l’autre et peut engendrer des problèmes personnels importants.
A terme, les conséquences sont fâcheuses tant sur le plan psychologique (isolement ou retrait social, altération de l’estime de soi, irritabilité, syndrome, de manque, anxiété, atonie ...) que sexuel (altération de la perception de la sexualité, dissociation entre sexualité virtuelle et réelle, perte de libido dans le couple, dysfonctions sexuelles variées : émoussement de l'érection , difficultés à éjaculer ).
Heureusement et comme souvent : des issues sont possibles.
1) Comme toutes les problématiques addictives, un accompagnement psychologique avec un professionnel de santé sera nécessaire. Idéalement, quelqu’un formé à la fois en psychologie ou psychiatrie et sexologie. Il s’agira d’évaluer avant tout la sévérité de l’addiction, les différents facteurs environnementaux, psychologiques et sexuels qui ont pu déclencher cette addiction; les facteurs surajoutés ou d’éventuelles polyaddictions (comportementales, drogues...), les répercussions sociales, professionnelles, de couple…
2) Mise en place du sevrage
3) Mise en place de stratégies d'évitement : mieux repérer les périodes de stress ou d'ennui , mettre en place une tactique permettant de s'occuper lors de ces moments , d'éléments de pensées positives , limiter l'accès aux sites pornographiques ...
4) Si nécessaire , prescription de certains médicaments limitant le fonctionnement addictifs , notamment certains antidépresseurs
5) Travail visant à privilégier des activités sexuelles de plaisir centrées sur vos images personnelles , vos propres fantasmes , vos sensations physiques de bien être et de plaisir ( se masturber par plaisir en ressentant ce plaisir physique , pas pour soulager une tension ) , privilégier la sexualité relationnelle etc.
Ci-joint les diaporamas de nos intervenants :
L’AIUS est une Société Savante qui rassemble depuis 1983 tous les sexologues : universitaires, praticiens, médecins ou non médecins, enseignants et enseignés, unis par le même souci d’éthique, de pratique clinique, de recherche et de transmission d’un savoir.
Merci beaucoup pour cette approche rationnelle et didactique de la pornographie.
elle nous questionne et nous aidera dans notre pratique de séxo- thérapeutes.
Nos patients et patientes nous en seront reconnaissants.